Financement des élections en RDC : le projet de budget 2022 prend-il en compte le respect des délais constitutionnels ?
À l’Assemblée nationale, l'examen du projet de loi de finances de l’année 2022 se déroule dans un contexte marqué par la mise en place des certains membres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Les députés leur accorderont-ils les moyens financiers nécessaires à la préparation des élections générales prévues en 2023 ?
Il l’a promis, et il semble le faire. Le gouvernement Sama Lukonde s’était en effet engagé de prévoir chaque année des crédits nécessaires à l’organisation des élections. C’est chose faite pour l’année 2022. Selon l’exposé des motifs du projet de loi des finances, un accent particulier est mis notamment sur la préparation des élections. Il s’agit d’un début de matérialisation des engagements de l’exécutif en matière électorale tels que repris dans le programme d’actions du gouvernement 2021-2023.
Ces engagements concernent à la fois la prévision budgétaire des élections en général et celle des scrutins locaux en particulier. Il ressort ainsi de ce projet de loi des finances pour 2022 une volonté de doter la Ceni des moyens financiers pour débuter les préparatifs des futures élections. Concrètement, cela se traduit par la constitution d’une réserve de 500 milliards de francs congolais (soit 250 millions de dollars américains) pour le début des premières opérations électorales. Pour le Premier ministre Sama Lukonde, c’est donc là « un signal fort pour la poursuite de l’ancrage démocratique du pays et la normalisation de la vie citoyenne ».
Augmentation exponentielle des crédits alloués à la Ceni
Alors que depuis 2020, l’ensemble des crédits alloués à la Ceni n’avait plus atteint 1% des crédits globaux de la loi des finances de l’année, le projet de loi sous examen prévoit, en faveur de la Ceni, des crédits de l’ordre de 571 782 627 907 francs congolais, soit plus de 250 millions de dollars américains, représentant 3% du montant total de ce projet de budget.
Rien qu’en comparant les crédits prévus pour la Ceni dans le projet de loi des finances 2022 par rapport aux crédits votés en sa faveur en 2021, l’on constate que le budget de la Ceni connaîtra une hausse de plus de 445 milliards FC, soit environ 210 millions de dollars, si le Parlement ne les diminue pas. Un accroissement de 2,07 %. Car, les fonds prévus pour la Ceni dans le budget de l’exercice 2021 était de l’ordre de 126 262 083 991 FC,soit seulement 0, 93 % de l’ensemble du montant global de celui-ci.
Le tableau ci-dessous présente brièvement les évolutions constatées, en francs congolais, en faveur de la Ceni dans le projet de budget 2022 par rapport au budget 2021.
Cependant, la Ceni occupe la onzième place par rapport aux 93 secteurs ou administrations pris en compte dans ce projet de loi. Suivant la consistance des fonds prévus pour chaque administration, la commission électorale vient après les finances (13, 99%), l’enseignement primaire, secondaire et technique (13, 81%), la santé (10, 15%), la décentralisation et les réformes institutionnelles (5, 41%), l’Intérieur et la sécurité (4,50%), la défense et anciens combattants (3,93%), les infrastructures (3, 75%), l’agriculture (3, 52%), le budget (3, 36%) et le développement rural (3,05%).
Le temps restant avant la tenue des élections semble court pour allouer à la Ceni l’essentiel du budget des élections. Que va faire alors le gouvernement : compte-t-il sur la réduction des coûts des scrutins par la Ceni, tripler les prévisions actuelles dans le projet de loi de finances pour 2023 ou sacrifier une partie des scrutins attendus en 2023 ?
Élections locales prises en compte ?
Faute de moyens financiers conséquents, les élections locales n’ont jamais été organisées depuis 2006. Le nouveau président de la Ceni, Dénis Kadima, s’est récemment montré réticent sur la tenue effective de ces scrutins. Lors de son échange avec Bintou Keita, cheffe de la Monusco, il a évoqué la complexité de l’organisation des élections au niveau local.
Certes, le gouvernement s’est engagé à organiser en 2023, pour la première fois, les élections locales en même temps que les autres élections. Le projet de loi des finances pour 2022 tel qu’il est présenté ne permet cependant pas de comprendre la part allouée aux différents scrutins pris indistinctement. Il paraît, dès lors, difficile d’évaluer à ce stade, si une partie du coût des élections locales a été intégrée dans cette réserve de 500 milliards de francs congolais alloués à la Ceni.
Financement des élections au-delà de la Ceni ?
La Ceni n’est pas la seule institution impliquée dans le processus électoral en RDC. Dans sa classification des dépenses par grandes fonctions et sous fonctions, le projet de loi des finances prévoit plus de 539 milliards de francs congolais (près de 253 millions de dollars) pour les services généraux en charge des élections.
De quoi s’agit-il ? Le projet de loi des finances pour 2022, à l’instar de la nomenclature des dépenses de 2015, ne définissent pas ces services. Toujours est-il qu’il existe d’autres structures qui interviennent dans le processus électoral en RDC. C’est le cas du Conseil national de suivi de l’Accord et du processus électoral (CNSA). Cette institution accusée de plus en plus d’être devenue obsolète, l’ombre d’elle-même, n’a pas été ignorée dans le projet de loi des finances pour 2022. Bien que visée par une proposition de loi du député Delly Sesanga pour sa dissolution, elle se voit octroyée sous la dénomination « Comité national de suivi de l'accord de la St Sylvestre » plus de 4,6 milliards de francs congolais, soit 2 159 553 millions de dollars.
Défi du décaissement
Au cours des exercices budgétaires précédents, la Ceni n’avait pas bénéficié des crédits suffisants. Ces derniers n'étaient pas non plus décaissés dans leur globalité. Aujourd’hui, selon un rapport du ministère du Budget, en neuf mois, depuis le début de l'exercice budgétaire en cours, seuls 9 millions de dollars ont été décaissés pour la Ceni sur les 47 millions prévus pour la période.
Or, parallèlement à son engagement de prévoir des crédits nécessaires à l’organisation des élections, le gouvernement a aussi promis d’« assurer la disponibilité permanente desdits crédits de manière à ne pas compromettre financièrement l’organisation cyclique des élections ».
Il sera donc intéressant d’évaluer, à l’avenir une fois ce projet de loi adopté et promulgué, dans quelle proportion, planification et fréquence, les fonds prévus seront décaissés en faveur de la Ceni.
En même temps, la Ceni devra décliner la feuille de route de ses activités et le budget y relatif pour faciliter au gouvernement de poursuivre la programmation financière du déroulement des élections de 2023.
Photo : RDC/Kinshasa 28 novembre 2011. Jour des élections, jour du vote et dépouillement des bulletins de vote. ©️Flickr/Monusco/Myriam Asmani