Bilan de la session

Invalidation des députés pour absentéisme : sanction ou règlement des comptes ?

13/07/2022

Clôturée le 15 juin dernier, la session parlementaire de mars 2022 a été caractérisée notamment par l’invalidation des cinq députés pour absentéisme non justifié. Qu’en était-il vraiment ? Éclairage.

Il faut 251 députés pour que l’Assemblée nationale siège valablement. Les élus sont alors tenus de participer aux séances en plénière et en commission. Cette obligation est d’autant plus importante vu que la chambre basse du Parlement congolais ne vote que si les deux tiers de ses membres sont présents.  

Au début de chaque séance, les députés actent leur présence, en apposant une signature au regard de leurs noms, comme le prévoit le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En cas d’absence, celle-ci doit être soit autorisée soit justifiée. En cas de non participation à plus d’un quart des séances d’une session, le député absentéiste s’expose d’ailleurs à la perte de son mandat parlementaire au profit de son suppléant. 

Dans ce contexte, les listes de présence des députés sont considérées comme étant « sensibles ». Elles ne sont jamais accessibles au public. Toutes les démarches entreprises par Talatala pour en obtenir des copies n’ont jamais non plus abouti. En conséquence, seul le bureau de l’Assemblée nationale détient le monopole de dire quel député participe, ou pas, aux travaux. Un pouvoir dissuasif à sa portée de main qui pourrait être utilisé pour intimider des députés plus ou moins trop revendicatifs. 

C’est en tout cas ce qui pourrait expliquer la récente invalidation des mandats de certains élus. Récapitulons. Au début de cette session de mars qui vient de se clôturer, quelques députés de l’opposition s’engagent dans une initiative visant à déchoir Christophe Mboso,  président de l’Assemblée nationale, qu’ils accusent notamment de museler l’opposition. Dans la foulée, le bureau de l’Assemblée nationale contre-attaque. Dès le 22 avril, un mois à peine après l’ouverture de la session, une résolution mettant en place une commission spéciale chargée de statuer sur les cas des députés absentéistes est adoptée. Dans le viseur : certains députés dont les signataires de la pétition contre Mboso.

Cette réaction laisse planer plusieurs interrogations. Pourquoi parler des absences au moment où la pétition est annoncée contre le président de l’Assemblée nationale ? S’il est vrai que l’Assemblée nationale compte des députés qui n’ont jamais siégé - cas de l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito - ou qui ne siègent  plus - cas de Luc Mulimbalimba, en fuite à la suite de sa condamnation en 2019, les députés de l’opposition n’ont cependant pas hésité à dénoncer une intimidation visant à leur faire abandonner leur pétition. 

Malgré tout, le bureau de l’Assemblée nationale est resté sur sa ligne. La commission spéciale chargée d’examiner les cas d'absentéisme a entamé ses auditions. Environ 300 députés étaient concernés. Leur point commun : des absences dépassant le quart des séances d’une session. 

Mais, en réalité, la liste ne reprenait que les députés de l’opposition, selon Boniface Balamage, interrogé par actualité.cd. Cet élu d'Idjwi et membre du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila était parmi les auditionnés. À l’en croire, les absences épinglées concernaient les sessions ordinaires de mars et septembre 2021. À cette période, « nous [avions] les recommandations du Dr Muyembe sur les restrictions de réunions publiques, tentait-il alors de se justifier, dénonçant en même temps l’irrégularité de la commission spéciale. D’une part, notre assemblée plénière ne pouvait se réunir qu’avec un nombre restreint [de ses membres] et, d’autre part, comment, dans ce cas de figure, on [pouvait] lancer un discrédit sur certains élus en les traitant d’absentéistes ? »

À l’issue des auditions, la commission spéciale s’est résolue à ne retenir que les cas les plus flagrants d’absentéisme, selon elle. Outre Muzito et Mulimbalimba, Papy Niango Iziamayi, initiateur de la pétition contre Mboso, est également repris sur la liste des députés à invalider pour motif d’« absence non autorisée et non justifiée ». C’est également les cas des députés Henri Mova et Marie-Ange Mushobekwa, tous les deux restés fidèles à Kabila après le basculement de la majorité parlementaire en faveur du président Félix Tshisekedi. Sur Twitter, Mushobekwa a dénoncé, avec quelques preuves des autorisations de sortie et ordres de mission justifiant certaines de ses absences à l’appui, une « décision de [l’]invalider venue de la présidence [de la République] ».

Toujours est-il que le rapport de la commission spéciale a été examiné à huis clos et  n’a pas été soumis au vote, selon quelques députés de l’opposition contactés par Talatala. L’article 93 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dispose pourtant qu’ « en cas des délibérations portant sur des personnes, le vote s’effectue par bulletin secret ». En occurrence, les députés ont été appelés à se prononcer à mains levées à la fois sur la recevabilité et l’ adoption du rapport de la commission, sans accorder préalablement aux personnes incriminées la possibilité de se défendre devant la plénière souveraine pour qu’elle soit éclairée avant le vote. Plus grave encore, ledit rapport aurait été déclaré recevable et adopté alors qu’une bonne partie des députés même de la majorité contestait l’invalidation de Marie-Ange Mushobekwa. 

Ces invalidations ne sont pas les premières dans l’histoire parlementaire de la RDC. Lors de la deuxième législature, alors que plus de la moitié des députés de l’Assemblée nationale étaient concernés par l'absentéisme, seuls ceux de l’opposition avaient été invalidés à l’issue d’une catégorisation entre les absences significatives et celles non significatives jugée « discriminatoire » par l’Union interparlementaire.

Saisie par certains députés invalidés, cette organisation mondiale des parlements à laquelle la RDC est affiliée avait mis en garde les autorités congolaises contre « l’utilisation abusive de l’invalidation pour absentéisme qui, si elle vise à remédier à l’absentéisme des parlementaires, doit être appliquée de manière impartiale et non sélective dans le respect des droits de la défense ».

Ithiel Batumike Mihigo  

Photo : une plenière à l'Assemblée nationale. Copyrigth : @AssembleeN_RDC/Twitter