Ce qu'il faut savoir

Élections de 2023 en RDC : le fichier électoral va-t-il (enfin) dépendre du recensement général de la population ?

31/10/2022

Extraire le fichier électoral des données issues du recensement général de la population grâce à la « mutualisation » de toutes ces opérations. Que reste-t-il de ce vœu du gouvernement de la RDC ?  

Après trois cycles électoraux, la RDC ne parvient toujours pas à avoir un fichier électoral conforme aux standards internationaux. Pour les élections prévues en 2023 émerge alors très rapidement l’idée de mutualiser les opérations d’enrôlement des élections de celles relatives du recensement général et de l’identification de la population. 

Est-ce une bonne trouvaille ou une fausse bonne idée ? À moins de 15 mois des scrutins, la question se pose. D’autant que le dernier recensement général de la population en RDC date de 1984. Aujourd’hui, l'État ne maîtrise pas le nombre exact de ses citoyens. C’est pourquoi, lors des processus électoraux passés, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a recouru à l’identification et l'enrôlement des électeurs. 

Mais, depuis 2015, les différentes missions de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) recommandent  la tenue du recensement général de la population en vue de la constitution d’un fichier électoral fiable. À l’issue des élections de 2018, le Centre Carter a abondé dans le même sens, en invitant l’Office national d’identification de la population à « élaborer une version précise et à jour du recensement de la population afin de produire un registre d'électeurs fiable ». 

Quand la Ceni recommandait la « mutualisation »

Dans son rapport général sur le processus électoral 2012-2019, la Ceni, elle-même, reconnaît que c’est « l’absence d’un recensement général de la population ainsi que l’inexistence d’un registre d’état civil fiable de la population [qui ont] obligé l’administration électorale à recourir de manière répétitive à la coûteuse opération de révision du fichier électorale ». Pour elle, « il est dès lors impérieux que l’option soit levée pour l’établissement d’un cadre légal de nature à gérer à la fois l’identification et le recensement de la population en vue de générer une base de données permanente à même de produire un fichier électoral mis à jour à chaque cycle électoral ». 

Autrement dit, note la Ceni, « la constitution d’un fichier général de la population devrait permettre une mise à jour permanente du fichier électoral, sans nécessairement passer par une opération ponctuelle de révision du fichier électoral ». Ceci devrait passer, « dans le souci de minimiser les coûts », par la mutualisation « des ressources avec d’autres structures telles que le ministère de l’Intérieur, l’Office national d’identification de la population (état-civil et identification générale de la population), le ministère du Plan (recensement scientifique de la population) et la Ceni (population en âge de voter) », préconise alors ce document rédigé lorsque Corneille Nangaa présidait encore la commission électorale. 

L’idée est reprise ensuite par le gouvernement du Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde. Mais il ne sera pas question de conditionner la tenue des élections au recensement, selon l’exécutif. En janvier 2015, une initiative de la majorité au pouvoir de l’époque voulait lier les deux opérations et s’était heurtée à l’opposition des partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile, obligeant le Parlement a reculé, après une répression sanglante des manifestations. 

« Mutualisation » finalement boudée par la Ceni

Alors, comment devrait-on procéder aujourd’hui ? Dès le 3 février, la Ceni, désormais présidée par Denis Kadima, prend position contre la mutualisation des opérations d’identification, de recensement de la population et d’enrôlement des électeurs, notamment à cause de la « lenteur » de ce procédé. S’obstiner à faire « est de nature à retarder le processus électoral déjà soumis aux contraintes de délai constitutionnel », prévient même la commission électorale dans sa feuille de route.

Dès le lendemain, le gouvernement fait entendre un autre son de cloche. Pour lui, mutualiser ces opérations « a l’avantage de réduire les coûts et [de] rationaliser les délais opérationnels », proposant à la Ceni de « privilégier la collecte des données des électeurs afin de respecter la contrainte des délais constitutionnels ». Il s’agirait, selon le gouvernement, d’« environ 300 millions de dollars américains » d’économies sur le coût global de l’organisation des élections dans le pays. 

Mais la Ceni ne semble pas rassurée. Le 15 février, son président, Denis Kadima, adresse une lettre au Premier ministre pour annoncer la suspension de la participation de la Ceni aux réunions de pilotage de la mutualisation et sollicite l’arbitrage du chef de l’État. Motif : « Les structures prévues pour la mutualisation et qui doivent également intervenir, de ce fait, pour l’identification et l'enrôlement des électeurs sont différentes de celles qui sont appelées à intervenir dans cette opération spécifique, selon la loi ». Et la Ceni réitère sa crainte du « glissement » du calendrier électoral si le pays emprunte la voie de la « mutualisation » : « Les objectifs poursuivis par ces structures [impliquées aux opérations à mutualiser] ne sauraient être pris en compte par elle sans handicaper le chronogramme des activités électorales. » 

Malgré cette mise en garde, le 2 mars, le gouvernement n’hésite pas à confirmer sa volonté de pousser vers la « mutualisation ». Un décret du Premier ministre allant dans ce sens est signé. Le texte tente cependant de rassurer : « La mutualisation n’est qu’une simple mise en commun des ressources humaines, techniques, logistiques et matérielles dédiées à la réalisation des activités communes nécessaires à la production des cartographies opérationnelles, du fichier électoral et du fichier général de la population ». 

Selon le décret, chaque structure impliquée « conserve ses prérogatives légales et réglementaires ». Déduction : les activités propres à chaque institution sont exclues de la « mutualisation ». C’est le cas par exemple, pour la Ceni, de la révision du fichier électoral, de la production et délivrance des cartes d’électeur et de la constitution des listes électorales. Et pour l’Onip, entre autres, le dénombrement général de la population et de l’habitat, la production et délivrance des cartes d’identité nationale. Mais la principale crainte de la Ceni n’est pas tout à fait élaguée. D’autant que le décret du Premier ministre semble lier le déroulement de ces deux opérations - recensement de la population et enrôlement des électeurs -, sans accorder la priorité aux opérations électorales. 

Qu’en pense le président Tshisekedi ?

Gouvernement et Ceni se tournent alors vers le président Félix Tshisekedi appelé à trancher. Mais, à ce jour, l’on a pas vu une réponse publique claire du chef de l’État sur le sujet. Côté commission électorale, l’on estime que le débat est clos : le président Tshisekedi a compris son argumentaire. Le 15 juillet, Denis Kadima l’assure devant les étudiants lors d’une matinée scientifique organisée à l’Université de Kinshasa. Selon lui, le processus de « mutualisation » est désormais « scindé ». 

Côté gouvernemental, les lignes bougent aussi. L’exécutif revoit sa copie et parle désormais d’une « nouvelle feuille de route » sur la question, soulignant que même si l’on mutualise toutes ces opérations, la priorité sera accordée aux activités liées aux élections. Début avril, un compte-rendu du conseil des ministres estimait même que « toutes ces opérations se termineront avant le début des opérations électorales proprement dites, et chaque citoyen disposera bel et bien de sa carte d’identité ainsi que de sa carte électorale ».

Le 3 septembre, autour du Premier ministre, un comité de pilotage de la « mutualisation »  se réunit pour faire le point sur l’évolution des opérations d’enrôlement des électeurs, d’identification et de recensement général de la population. En clair, selon le gouvernement, l’idée serait désormais de faire collaborer les trois structures impliquées : Ceni, Onip, Institut national de la statistique (INS). Des matériels utilisés par la Ceni pour l'enrôlement des électeurs seront par la suite transmis à l’Onip et à l’INS dans le cadre de l’identification et du recensement général de la population. 

D’après nos informations, les trois structures ont déjà commencé à collaborer dans ce sens. « Nous avons conçu ensemble la fiche de collecte des données, nous confie un responsable de la Ceni. Nous allons élaborer un protocole de transfèrement du dispositif de la Ceni vers l’Onip. » Avec cette nouvelle redéfinition de la « mutualisation », le fichier électoral ne dépend pas, cette fois-ci encore, des données du recensement et d’identification de la population. « L’enrôlement des électeurs aura lieu avant le recensement scientifique de la population », confirme notre interlocuteur au sein de la Ceni.

Perçue désormais comme une approche de collaboration, la « mutualisation » reste toutefois à l’ordre du jour. Le 6 octobre, le Premier ministre a désigné les membres du comité technique de suivi de la mutualisation des opérations de l’identification, du recensement et de l’enrôlement de la population. Un comité qui comprend des personnalités aussi bien de la primature, de l’INS, de l’Onip, de la Ceni que des ministères de l’Intérieur, des Finances, du Budget, du Plan et du Numérique. 

Ithiel Batumike Mihigo  

Photo : Kinshasa, 28 novembre 2011. Jour des élections, jour du vote et dépouillement des bulletins de vote. Monusco / Myriam Asmani