Réforme de la justice

Affectation des nouveaux magistrats en RDC : pourquoi le processus est si lent

04/07/2023

Huit mois après la publication des résultats du dernier concours de recrutement des magistrats, personne n’a été affecté. Le processus avance à pas de tortue. Décryptage.

La formation des nouveaux magistrats congolais est enfin projetée pour le 15 juillet. Mais à quand leur affectation effective ? La réponse est incertaine. D’autant que les 2 426 lauréats du dernier concours de recrutement dans la magistrature viennent de passer sept longs mois à attendre leur nomination, finalement intervenue le 6 juin. C’est en effet depuis le 30 novembre 2022 que le Conseil supérieur de la magistrature prévoyait de transmettre au président Félix Tshisekedi le projet d’ordonnance de nomination de ce premier groupe des magistrats. 

Pourquoi fallait-il autant de temps avant la promulgation de l’ordonnance présidentielle ? En tout cas, ce retard est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait que le chef de l’État appelait de tous ses vœux l’organisation de ce concours. « L’insuffisance des magistrats à couvrir les offices de parquet et juridictions à travers le pays et à résorber le besoin du peuple dans la quête de la justice, est l’une des raisons de la faible administration de la justice et de l’instauration de l’État de droit », relevait d’ailleurs Félix Tshisekedi, le 21 janvier 2022, au cours d’un conseil des ministres.

Aujourd’hui, selon le programme d’actions prioritaires 2018 - 2022, « l’effectif actuel des magistrats en RDC est de 3 028 unités et 371 magistrats militaires, soit 4,3 magistrats pour 100 000 habitants ». Dès son accession au pouvoir, en janvier 2019, le chef de l’État reconnaissait que « ce déficit fragilise l’équité et l’efficacité de la justice de notre pays tout en légitimant la défiance des citoyens congolais ». Car, cette situation entraîne des lenteurs ou l’absence de décisions pour les justiciables dans l’administration de la justice, surtout dans les zones rurales où il n’existe presque pas de magistrats. Ces derniers sont majoritairement concentrés dans les milieux urbains. 

En plus, dans la perspective du projet dinstallation de toutes les juridictions administratives dans l’ensemble le pays, il est apparu urgent de procéder, plus de 10 ans après,  à un nouveau recrutement des magistrats en RDC. Le gouvernement Sama Lukonde s’est alors engagé, lors de la présentation de son programme d’actions, le 26 avril 2021, à « mettre en place un programme de recrutement de nouveaux magistrats et de formation continue intensive pour les magistrats ». Vers la fin de la même année, le président Tshisekedi a ainsi instruit le Conseil supérieur de la magistrature de se concerter avec le gouvernement en vue de finaliser le processus de recrutement des nouveaux magistrats. 

Des lenteurs à l’allumage 

Il faut attendre presque un an pour voir le début de matérialisation de cette promesse de l’exécutif. En mars 2022, le secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature entre en danse.  Il publie un avis officiel de recrutement des nouveaux magistrats civils et militaires. Les candidats se bousculent : plus de 34 000 dossiers sont enregistrés. Puis, sept mois plus tard, le 9 octobre, le concours est organisé sur 15 sites retenus : Bukavu, Goma, Lubumbashi, Kindu, Mbandaka, Bandundu, Kalemie, Kisangani, Kananga, Mbujimayi, Bunia, Matadi, Kolwezi et Kinshasa. Près d’un mois s’écoule ensuite avant la publication, le 2 novembre, des noms des 5 000 candidats retenus pour le concours. Et ce n’est que la partie visible de la lenteur dans ce processus.

En fait, dès le départ, le Conseil supérieur de la magistrature a accumulé quelques retards dans la réalisation de son propre chronogramme. Il devrait procéder, entre les 11 et 25 novembre 2022, soit juste après la publication des résultats du concours à l’identification physique, à Kinshasa, des candidats retenus et à leur formation durant trois mois. Or, cette phase qui exige une présence obligatoire des intéressés n’est pas prise en charge par l’État. Il appartenait aux candidats eux-mêmes, surtout ceux de provinces, de prévoir leurs frais de déplacement et de séjour dans la capitale. Dans l’attente interminable de la suite du processus, certains d’entre eux, faute de moyens financiers suffisants, se sont retrouvés dans la précarité après cinq mois passés dans la capitale. Deux sont même décédés. Ce qui a entraîné, à la mi-avril, des manifestations dans la rue pour réclamer la poursuite du processus de leur recrutement et surtout la prise en charge de leur séjour.

Un budget dérisoire pour la justice

Avec un budget alloué à l’appareil judiciaire de 1,52 % en 2023 - contre 1,79 % l’année précédente -, les questions financières peuvent justifier ce retard. D’ailleurs, le Conseil supérieur de la magistrature n’a cessé ces derniers mois à se tourner vers des partenaires extérieurs pour demander le financement de la formation des magistrats recrutés. Surtout que l’effectif de ces recrues,  initialement fixé à 1 400, est passé à 3 000 lors de la publication du chronogramme des activités relatives au recrutement des magistrats avant d’atteindre finalement 5 000. 

L’on peut alors légitimement s'interroger sur la capacité du gouvernement Sama Lukonde d’assurer une bonne prise en charge cette année du premier groupe des 2 426 nouveaux magistrats nommés, une fois affectés à travers le pays.  Pour l’instant, ce que l’on sait c’est que la formation annoncée pour le 15 juillet, à l’attention des 2 426 nouveaux magistrats, se tiendra dans six différents sites : Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, Mbandaka, Mbuji-mayi et Bukavu. Comme prévu, elle durera trois mois.

À moins de six mois de la tenue des élections, attendues pour le 20 décembre, l’arrivée des nouveaux magistrats formés notamment sur des contentieux électoraux, pourrait aider les juridictions compétentes à mieux traiter dans les délais légaux, parfois très serrés, les différentes requêtes qui leur seront soumises par des candidats ou des organisations politiques. Une raison de plus pour accélérer le processus d’affectation des magistrats qui avance à petits pas.

Gregoire Kilosho

Photo : prestation de serment des Hauts magistrats dans le cadre de la réforme de la justice, le 19 février 2020. Copyright : @Presidence_RDC/Twitter