Élections

À quoi pourrait ressembler la loi électorale à venir ?

19/05/2022

En l’absence des auteurs de la proposition de loi modifiant et complétant la loi électorale en RDC, l’Assemblée nationale a levé, le 12 mai, des « options » sur les principaux changements préconisés. Décryptage d’une réforme électorale a minima.

C’est un processus de réforme électorale boudé par l’opposition. Même les initiateurs de la proposition de loi ont finalement décidé de ne pas participer, le jeudi 12 mai, à la plénière destinée à « lever les options » sur 18 modifications majeures préconisées dans le texte. L’opposition réclame des concertations en dehors des institutions pour trouver un consensus sur le sujet, alors que les députés membres du G13, auteurs de la proposition de loi, dénoncent l’absence de possibilité de débat.

Malgré tout, la majorité parlementaire a décidé d’avancer et, surtout, de trancher. Les députés de l’Union sacrée de la nation, fidèles au président Félix Tshisekedi, ont ainsi procédé au vote des dispositions à garder, ou pas, dans le texte initial avant de l’envoyer à la commission politique, administrative et juridique (PAJ) de l’Assemblée nationale. 

Des changements retoqués 

Plusieurs modifications courageuses ont alors été rejetées. C’est le cas notamment de la proposition initiale d’interdire la suppléance familiale. L’idée consistait à ne plus permettre de choisir « comme suppléants, sous peine d’annulation de l’élection, des parents en ligne directe ou collatérale, ascendante ou descendante, jusqu’au deuxième degré inclus ». Cette tentative de moralisation de la vie publique n’a pas été du goût de plusieurs députés lors du débat général. Certains ont soutenu qu’une telle interdiction violerait le droit constitutionnel consacrant l’égalité des citoyens et leur égal accès aux fonctions publiques, d’autres ont rappelé que c’est le candidat seul, souvent avec ses propres moyens, qui finance sa campagne électorale, puisant les ressources dans le patrimoine familial. 

En conséquence, la future loi électorale modifiée ne sera plus cet outil de lutte contre le népotisme, comme le voulaient ses initiateurs du G13. D’autant que la majorité parlementaire a également retoqué l’interdiction souhaitée du cumul des candidatures à deux scrutins du même degré. 

Dans la poubelle aussi les propositions d’abandonner le scrutin proportionnel pour les législatives, d’instituer un parrainage pour l’élection des gouverneurs et celle des sénateurs, d’obliger la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) à publier la cartographie électorale avant la publication du calendrier électoral, de remettre obligatoirement les procès-verbaux des opérations de vote à tous les témoins et observateurs, ces derniers pouvant toujours en faire la demande au chef d’antenne. 

Il en est de même de l’interdiction proposée initialement de « distribuer l’argent, des biens ayant une valeur pécuniaire ou tout autre avantage (...) pendant la campagne électorale ». À la place, la majorité parlementaire suggère de s’en tenir aux dispositions actuelles de la loi électorale qui limite cette interdiction à « l’utilisation à des fins de propagande électorale des biens, des finances et du personnel de l’État, des entreprises, établissements et organismes publics et des sociétés d’économie mixte ». 

Pour l’Union sacrée de la nation, il ne sera pas question non plus d’instituer un « centre national de centralisation des résultats (CNCR) » qui aurait pu avoir comme mission de publier « progressivement » les résultats au fur et à mesure qu’ils sont transmis. Considéré comme un dispositif pouvant contribuer à la traçabilité des résultats de vote, ce CNCR mort-né, s’il voyait le jour, aurait plutôt porté un discrédit sur le processus électoral, selon la coalition au pouvoir. Celle-ci avait d’ailleurs aussi rejeté l’idée de créer une « commission permanente d’évaluation et de contrôle (COPEC) » au sein de la Ceni lors de la dernière modification de la loi régissant l’organisation et le fonctionnement de cette institution. 

Des modifications à réécrire 

Que reste-t-il alors de ce texte voulant modifier la loi électorale en vigueur ? Visiblement, pas grand-chose de sa substance. Notamment parce que d’autres dispositions non rejetées ont été tout simplement réécrites par la majorité parlementaire. 

Par exemple, l’obligation proposée de « publier les résultats bureau de vote par bureau de vote au niveau du centre de vote (...) » n’en est plus une. Car, pour la coalition au pouvoir, c’est au président de la Ceni de publier les résultats provisoires des élections, après leur consolidation dans des centres de compilation. Ce n’est qu’après cette étape que « les résultats provisoires publiés sont affichés bureau de vote par bureau dans les locaux de la Ceni et, le cas échéant, peuvent être consultés sur le site internet de la Ceni ».

Si la reformulation de la majorité parlementaire est retenue, il ne sera pas non plus obligatoire d’afficher les résultats bureau de vote par bureau de vote, ces derniers devant être seulement consultés sur le site internet de la Ceni. Est alors rejetée l’idée d'instituer une sanction contre le président de la Ceni en cas de non affichage des résultats bureau de vote par bureau de vote.

Dans la cacophonie, la proposition de « [prendre] en compte la dimension genre dans la constitution des listes » a été renvoyée à la commission PAJ pour réécriture, alors qu’elle était rejetée par le groupe de travail de la majorité parlementaire qui a travaillé sur les options à lever. Rappelons que le 30 juin 2019, lors de son message à la nation, le président Félix Tshisekedi avait demandé au Parlement de « réfléchir sur un système de quota aussi bien dans les assemblées électives que dans l’administration, à réserver d’emblée aux femmes afin de renforcer leur participation active dans la société ». Reste à savoir si la commission PAJ s’inscrira véritablement dans cette voie.

Des propositions retenues

On sait déjà en revanche que la majorité parlementaire a accepté de remplacer le seuil de représentativité par le seuil de recevabilité. Concrètement, il s’agit d’imposer à chaque liste des candidatures aux législatives, sous peine d’irrecevabilité, d’aligner au moins 60 % des candidats sur le nombre des sièges que compte l’Assemblée nationale. Ce changement permettrait de « mieux favoriser la constitution des grands ensembles à l’échelle nationale ou provinciale », selon le G13.

Mais, beaucoup d’experts électoraux, notamment ceux du Centre de recherches et d’études sur l’état de droit en Afrique (Creeda), craignent que ce seuil de recevabilité empêche toute participation des candidats indépendants aux législatives. Ce qui pourrait énerver certaines dispositions constitutionnelles. L’article 101 de la Loi fondamentale congolaise laisse en effet la possibilité aux candidats aux législatives de « se présenter en indépendants ». 

Abondant dans le même sens, la loi sur les partis politiques stipule clairement que « l’adhésion à un parti politique ne conditionne ni la jouissance ni l’exercice des droits politiques ». 

Aussi, il nous paraît difficile de voir comment, sans le seuil de représentativité, l’on parviendrait à des grands ensembles politiques souhaités. D’autant que ce dispositif était perçu comme un correctif du système proportionnel, puisqu’il encourage le regroupement des acteurs et des partis politiques en des grandes composantes. 

Autre proposition retenue : la nécessité de distinguer les inéligibilités définitives pour des crimes graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide) des inéligibilités temporaires pour les autres infractions. Mais cette distinction semble déjà présente dans la loi électorale en l’état. Par contre, la différence entre les cas d’inéligibilité et ceux d'incompatibilité, comme l’avait d’ailleurs recommandé la Ceni dans son rapport général sur le processus électoral 2012-2019, est enfin intégrée. 

L’option de définir un régime légal exhaustif pour le vote électronique a aussi été levée. C’était l’un des changements majeurs proposés par le G13 afin de réglementer et de légaliser l’utilisation de la machine à voter dans le processus électoral en RDC. La balle est désormais dans le camp de la commission PAJ chargée de « toiletter » toutes ces différentes options. Pas sûr qu’elle s’éloigne de celles déjà levées par la coalition au pouvoir et avalisées par la plénière.

 

Ithiel Batumike Mihigo

Photo : un jour de vote à Kinshasa. ©️ Flickr/Monusco/Myriam Asmani