À l'Assemblée nationale

Quelle stratégie politique ont utilisé les ministres candidats pour se présenter aux législatives de 2023 ?

16/02/2024

Seuls neuf des 49 ministres du gouvernement Sama Lukonde se sont présentés aux législatives du 20 décembre 2023 sur les listes d’un parti politique. Qu’en est-il des autres ? Plongée dans le complexe réseau d’alliances électorales en RDC dans cet épisode 4 de la série Balobeli Ya Lobi.   

À l'approche des élections, un phénomène pervers est de plus en plus observé dans la sphère politique congolaise : la mort des partis politiques au profit de structures plus grandes appelées « regroupements politiques ». Contrairement aux partis, ceux-ci ne disposent pas suffisamment d'encadrement juridique. Et la modification de la loi électorale n’a pas été d’une grande aide pour lutter contre le phénomène. Au contraire, cette dernière réforme, adoptée le 2 juin 2021 à l’Assemblée nationale, a renforcé les regroupements politiques en introduisant le seuil de recevabilité des listes, en plus du seuil de représentativité introduit lors des élections de 2018. 

Concrètement, ce nouveau seuil impose à chaque liste datteindre au moins 60% des sièges en compétition. En conséquence, avant les élections, les acteurs politiques et les partis entrent dans des tractations pour se trouver des alliés. Le seuil de recevabilité est ainsi venu non seulement accentuer la pratique de ralliement des structures, mais aussi mettre en péril les partis politiques pendant un processus électoral, incapables, pour beaucoup, de briguer les 60 % des sièges à pourvoir. De ce fait,  les partis politiques, dont le but est aussi de conquérir le pouvoir, s’écartent de leur mission pour faire place aux regroupements politiques, structures qui, une fois les élections passées, s’effritent à leur tour. 

Faible nombre de ministres candidats sous le label de leurs partis

Face à cette donne, comment se sont comportés les 49 ministres candidats aux législatives ? Seulement neuf, soit 18 %, se sont présentés devant les électeurs sous la bannière d’un parti politique : une avec le Mouvement de libération du Congo (MLC), une autre avec l’Alliance des démocrates chrétiens du Congo (ALDEC) et sept avec l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS/Tshisekedi), parti présidentiel.

Ministres 

Postes

Parti politique

Élu(e)

1

Alexis Gisaro Muvunyi

Ministre des Infrastructures et Travaux publics

UDPS/Tshisekedi

Non

2

Désiré Cashmir Eberande Kolongele

Ministre du Numérique

UDPS/Tshisekedi

Oui

3

Antoinette N’samba Kalambayi

Ministre des Mines

UDPS/Tshisekedi

Oui

4

Nicolas Kazadi Kadima Nzuji

Ministre des Finances

UDPS/Tshisekedi

Oui

5

Ève Bazaiba Masudi

Ministre de l'Environnement et conservation de la nature

MLC

Oui


6


Tony Mwaba Kazadi

Ministre de l'Enseignement, primaire, secondaire et technique


UDPS/Tshisekedi


Oui

7

Adèle Kahinda Mayina

Ministre du Portefeuille

ALDEC

Non

8

Jean-Pierre Lihau 

Vice-Premier ministre de la Fonction publique

UDPS/Tshisekedi

Oui

9

Nana Manuanina Kihimba 

Ministre déléguée près le président de la République

UDPS/Tshisekedi

Non

 

Dans cette catégorie, six ministres parmi les neuf ont été proclamés provisoirement élus, ce qui représente 66,67 % de réussite de la stratégie. On y trouve, entre autres, Jean-Pierre Lihau qui a changé de parti au cours de son mandat, passant du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) à l’UDPS/Tshisekedi. 

Nana Manuanina Kihimba, ministre déléguée près le président de la République, qui concourait pour le compte de l’UDPS/Tshisekedi à Masimanimba, a vu, elle, ses suffrages être annulés pour « fraude, corruption, vandalisme de matériel électoral, incitation à la violence et détention illégale des dispositifs électroniques de vote (DEV) », selon une décision de la Commission électorale nationale indépendante datée du 5 janvier. Deux ministres n’ont pas pu se faire élire : Alexis Gisaro Muvunyi (UDPS/Tshisekedi) à Uvira et Adèle Kahinda Mayina à Sandoa, dont le parti, ALDEC, qui s’était dissocié du regroupement Alliance des forces démocratiques du Congo et alliés (AFDC-A), n’a pas atteint le seuil de représentativité. 

Tendance « regroupements politiques »

Qu’en est-il des autres ministres ? Combien de regroupements politiques les ont-ils alignés ? Combien sont-allés dans les regroupements avec leurs partis d’origine ? La stratégie a-t-elle été payante pour tous ? En tout cas, 40 des ministres candidats aux législatives, soit 82 %, se sont présentés sous la bannière de regroupement politique.

Comme l’illustre le graphique ci-dessus, avec six ministres candidats, Agissons et bâtissons (AB) est le regroupement qui a présenté le plus grand nombre de membres du gouvernement à la députation nationale. Derrière cette coalition politique, coordonnée par Dany Banza, conseiller et proche collaborateur du président Félix Tshisekedi, se place l'Action des alliés et Union pour la nation congolaise (A/A-UNC) de Vital Kamerhe, ministre de l’Économie, qui a aligné cinq ministres.

Sur ces 40 ministres, 26 ont été proclamés provisoirement élus. Ce qui représente en soi 65 % de réussite de cette stratégie. Toutefois, un des 22 regroupements politiques ayant passé le seuil de recevabilité, n’a pas réussi le pari du seuil de représentativité. Il s’agit de l’Action des alliés pour la démocratie et le développement (AADD) sur la liste de laquelle se trouvait Godard Motemona Gibolum, vice-ministre des Mines et transfuge du PPRD. 

Fidèles au parti malgré tout ?

Vingt des 40 ministres se sont présentés sous la bannière d’un regroupement politique, en gardant leur parti d’origine. Parmi eux, 13 sont responsables de leur formation politique initiale (autorités morales, fondateurs, co-fondateurs, présidents).

 

Quinze de ces 20 ministres ont vu  leurs alliances électorales être récompensées, car ils ont été proclamés provisoirement élus. Par contre, la stratégie n’a pas fonctionné pour  cinq autres ministres. Parmi les ministres malheureux des législatives nationales se trouve Didier Mazenga Mukanzu, ministre du Tourisme, sur la liste du regroupement Actions des alliés de la convention et Parti lumumbiste unifié (AAC/Palu) dont les suffrages ont été annulés pour « fraude, corruption, vandalisme de matériel électoral, incitation à la violence et détention illégale des DEV ». Même sort pour Antoinette Kipulu Kabenga, ministre de la Formation professionnelle transfuge du PPRD.

Cependant, trois des ministres se sont présentés sous la bannière d’un regroupement, sans revendiquer l’appartenance à un parti politique. Dans ce lot, seule Wivine Moleka Nsolo, vice-ministre des Hydrocarbures, a pu se hisser parmi les députés proclamés provisoirement élus.

provisoirement élus. 

Ministres 

Postes

Affiliation

Regroupement politique

Élu(e)


1


Irène Esambo Diata

Ministre déléguée chargé des Personnes vivant avec handicap


Société civile


FPAU, comme personnalité


Non

2

Claude François Kabulo Mwana Kabulo

Ministre des Sports

Société civile

FPAU, comme personnalité

Non

3

Wivine Moleka Nsolo

Vice-ministre des Hydrocarbures

Transfuge du PPRD

AB, comme personnalité

Oui

 

À côté de ces cas de figure, 15 ministres candidats ont changé, créé ou dédoublé d'organisations politiques. Cela s’est produit au moment de la requalification de la majorité au sein de l’Assemblée nationale, en décembre 2020, à la suite de l'explosion de la coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila et le Cap pour le changement (Cach) du président Félix Tshisekedi. Le même phénomène s’est aussi observé à la veille des élections de décembre 2023.

C’est le cas par exemple de Séraphine Kilubu qui a tourné le dos au parti Envol de Delly Sesanga, tout en restant dans l’USN pour le compte du parti Alliance populaire pour le social (APPS). La vice-ministre des Transports s’est présentée aux élections sur la liste du regroupement A/B50 et a été proclamée provisoirement élue dans la circonscription de Tshangu, à Kinshasa. Patrick Muyaya Katembwe, ministre de la Communication et Médias, lui, a vu son parti dédoublé : Palu/Mayobo dans le regroupement ANB et Palu/Mazenga dans le regroupement AAC/Palu. De son côté, Butondo Muhindo Nzangi, ministre de l'Enseignement supérieur et universitaire, a quitté le parti Ensemble de Moïse Katumbi et est allé concourir sur la liste AAD-A pour le compte de son propre parti Action des volontaires pour la relève patriotique (AVRP).

 

Comme le démontre le tableau ci-dessous, ce procédé n’a pas été satisfaisant pour tous.  Quatre ministres candidats qui ont suivi cette voie ont échoué aux législatives nationales. C’est le cas par exemple de Pascal Omana Bitika, vice-ministre du Plan, transfuge du  parti Mouvement social pour le renouveau (MSR). Il a quitté le regroupement Alliance des démocrates pour le renouveau et le progrès (ADRP) pour concourir sur la liste de Alliance 2024 (A24) à Kindu ville. Sans succès.

Gamée Manzia

Photo : conseil des ministres restreient autour de Jean-Michel Sama Lukonde sur le projet d'ordonnance-Loi portant prorogation de l'état de siège au Nord-Kivu et en Ituri. Copyright : DR