En chiffres

État de siège : près de 200 députés ne participent jamais au vote de prorogation

02/12/2021

Où sont passés les députés ? Depuis le début de la prorogation de l’état de siège, en moyenne, 184 élus ne prennent jamais part au vote. Explications.

Le 30 novembre, selon des chiffres officiels, sur 500 députés, seuls 283 ont voté pour la 13e prorogation consécutive de l’état de siège. Quatre s’y sont opposés, et tous les autres, soit 213 élus, n’ont pas pris part au vote. Le tableau était déjà presque similaire lors de la précédente reconduction de cette mesure exceptionnelle instaurée au Nord-Kivu et en Ituri, deux provinces de l’est de la RDC.

De fait, depuis le 3 juin, si l’on s’en tient aux données publiées par l’Assemblée nationale, en moyenne, 184 députés, soit près de deux élus sur cinq, ne prennent jamais part au vote de prorogation de l’état de siège. Ailleurs, l’on penserait à une fronde à l’Assemblée nationale. En RDC, il n’en est rien ou presque. D’autant qu’à chaque vote, peu importe la matière examinée, il y a souvent des centaines de députés qui manquent à l’appel. D’ailleurs, comme relevé sur la courbe ci-dessous, sur les 13 votes de prorogation de l’état de siège, le quorum de ⅔, soit 333 députés présents, n’a été atteint que sept fois. 

Cliquez sur les petits carrés pour voir le nombre de votants pour chaque prorogation de l’état de siège.

Selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, « si à la première séance, le quorum des ⅔ n’est pas atteint, le président suspend le vote ; à la séance subséquente portant sur la même matière, les décisions sont valablement prise à la majorité relative ». Dans les faits, « le président lève la séance et après cinq minutes minimum, il ouvre une autre séance subséquente », renseigne un connaisseur de pratiques parlementaires congolaises.

Le boycott va-t-il changer quelque chose ?

Près de 40 absents ont tenu tout de même à justifier leur refus de participer aux séances plénières consacrées à la prorogation de l’état de siège. Il s’agit essentiellement de députés du Nord-Kivu et de l’Ituri. Depuis le 1er novembre, ils protestent contre le maintien de cette mesure qui ne produit pas, selon eux, des résultats escomptés sur le terrain. Ils réclament du gouvernement un plan de sortie de l’état de siège et la démission de Gilbert Kabanda, ministre de la Défense, ainsi que celle des deux gouverneurs militaires de provinces concernées.

Cette absence assumée des députés du Nord-Kivu et de l’Ituri n’a pourtant rien changé sur le nombre de votants. Au moment où ils entament leur boycott, le 1er novembre, lors de la 11e prorogation de l’état de siège, l’Assemblée nationale annonce une participation au vote de 342 députés. Ils n’étaient pourtant que 284, députés du Nord-Kivu et de l’Ituri inclus, lors du vote précédent sur la même matière. Pour les deux derniers votes, seuls 287 ont finalement pris part aux délibérations, selon les chiffres officiels.

Cliquez sur les petits carrés pour voir le nombre de votants pour les trois dernières prorogations de l’état de siège, avant et après le boycott des députés du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

« Nous avons dû battre le rappel des troupes pour que le mouvement de colère de nos collègues de l’Est ne puisse pas avoir d’incidence sur le vote », explique un député du Nord-Kivu qui, lui, n’a pas suivi le mot d’ordre. Mais pour un ancien membre du bureau de l’Assemblée nationale contacté par Talatala, « il ne faut pas se fier aux chiffres annoncés : ils sont, très souvent, délibérément gonflés ».

C’est notamment pour encourager plus de transparence dans ce domaine que Talatala commence désormais à publier, même partiellement, le sens de vote de chaque député pour savoir qui a voté pour, contre ou s’est abstenu. L’on sait par exemple que Jean Gbadi Karume, élu de Wamba, dans la province de Haut-Uélé, a voté contre la 12e et la 13e prorogation de l’état de siège. Il en est de même Thaddée Katembo Kambere (majorité), élu de Lubero, dans le Nord-Kivu, concernant le dernier vote. Alors que Simon-Pierre Iyananio Moligi, élu de Shabunda, dans le Sud-Kivu, votait d’abord pour avant de voter contre lors de la dernière prorogation de l’état de siège.

Le rapport de la commission défense et sécurité, la rencontre entre le président Félix Tshisekedi et des députés du Nord-Kivu et de l’Ituri, l'envoi d'une délégation de députés sur le terrain, au côté du ministre de la Défense, pour « évaluer » l’état de siège, l’accord de principe du gouvernement pour l’implication des troupes ougandaises dans des combats contre les rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF)… Ces récents événements auront sans doute une incidence sur le vote des députés lors de prochaines prorogations de cette mesure exceptionnelle. Dans un sens comme dans un autre.

 

Photo : une plenière à l'Assemblée nationale en RDC pour la 12e prorogation de l'état de siège. @AssembleeN_RDC/Twitter