Ce qu'il faut savoir

Discours sur l’état de la nation de 2021 : comment le président Tshisekedi évalue ses engagements et envisage la suite de son mandat ?

14/12/2021

Le lundi 13 décembre, le président Félix Tshisekedi s’est conformé pour la troisième fois au traditionnel discours sur l’état de la nation devant les députés et sénateurs réunis en Congrès. Cet exercice de redevabilité voulu par le Constituant, bien que le président de la République ne soit pas responsable devant le parlement, permet à ce dernier de présenter à la Nation, les progrès réalisés et les perspectives d’avenir.  

Retour sur les grandes lignes de ce discours sur quatre secteurs : sécurité, lutte contre la corruption, justice et élections.

État de siège et troupes ougandaises dans l’est du pays

Le président Tshisekedi a défendu le bilan de l'état de siège décrété en Ituri et au Nord-Kivu. Il a même remercié les députés et sénateurs pour la prorogation successive de cette mesure exceptionnelle. « Nos forces armées ont progressivement réussi à faire bouger les lignes et à reprendre plusieurs bastions jadis occupés par l’ennemi. Des chefs de bande ont été neutralisés, et plusieurs éléments de ces forces négatives se sont rendus », note avec satisfaction Tshisekedi. 

Malgré les critiques, Félix Tshisekedi a réaffirmé sa volonté à poursuivre son action jusqu'à l’éradication totale des « terroristes ». Un discours qui demeure inchangé. Il qualifie ces critiques d’une « campagne de dénigrement et de démobilisation » menée  par « une infime minorité de nos compatriotes ». 

Au sujet de l’entrée de troupes ougandaises sur le territoire congolais, le président Tshisekedi s’est contenté de justifier cette mutualisation des forces par le caractère régional du conflit. Cependant, il rassure de veiller à ce que cette présence militaire ougandaise soit limitée dans le temps. 

Félix Tshisekedi est revenu sur la mise en place du Programme chargé du désarmement, de la démobilisation, du relèvement communautaire et de la stabilisation (P/DDRCS). Il a annoncé avoir instruit le gouvernement à mettre en œuvre des mécanismes réparateurs, notamment celui de justice transitionnelle, au bénéfice des victimes. 

Vers le replacement de la Cour des comptes au cœur des actions de lutte contre la corruption ?

Dans son discours, le président Tshisekedi est revenu sur la nécessité d'investir les membres de la Cour des comptes. C’est la deuxième fois que le président fait cette promesse. Le 6 décembre 2020, il y a une année, Tshisekedi avait annoncé avoir retenu de consultations initiées en vue de la création de l’Union sacrée de la nation, la mise en place des responsables de la Cour des comptes et la prestation de serment de ses magistrats. Le gouvernement avait aussi repris, depuis avril 2021, cet engagement dans son programme d'actions 2021-2023. 

Le calendrier de la session parlementaire de septembre, qui se clôture en principe ce 15 décembre, alignait même la prestation de serment des membres de la Cour des comptes. Certaines organisations, qui œuvrent  dans le secteur de lutte contre la corruption, dénoncent une léthargie et craignent une attitude délibérée consistant à ne pas mettre en place un organisme indépendant vis-à-vis du président de la République. 

Le chef de l’État a salué le travail accompli par les agences impliquées dans la lutte contre la corruption notamment l’Inspection générale des finances (IGF), placée sous son contrôle.

Justice, le mauvais élève de la politique du président Tshisekedi

Félix Tshisekedi a appelé à des réformes « courageuses » dans le secteur de la justice en ce qui concerne les structures et leurs animateurs.  À cet effet, il a instruit le gouvernement de finaliser en concertation avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le processus de recrutement des nouveaux magistrats.

Pour lui, la justice demeure sur le banc des accusés. En effet, le président de la République estime que la perception de la justice dans l'opinion n'a pas évolué. Elle reste, selon lui, perçue comme étant au service des plus forts et contre les faibles.

La liberté provisoire accordée par la Cour de cassation, la semaine passée, à son ancien directeur de cabinet, Vital Kamerhe, a créé des remous au sein d’une partie de l’opinion publique. Celle-ci y voit comme dans d’autres cas antérieurs de libération des personnes condamnées, une justice de deux poids, deux mesures. Le président de la République tente-il donc de jeter la responsabilité de ce qui est considéré comme scandale à la seule justice ? Pas si sûr, vu que certaines personnes semblent avoir été libérées par le fait de l’exécutif (grâce ou libération conditionnelle). 

Qu’à cela ne tienne, Tshisekedi sollicite du CSM de « faire fonctionner les chambres disciplinaires afin que la sanction soit la seule récompense des mauvais magistrats qui, par leur comportement, ternissent l’image de toute une institution voulue un corps d’élite ». 

Décollage du processus électoral ? 

Au sujet de l'organisation des élections, le président  de la République est revenu sur la mise en place des animateurs de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) avec la participation des confessions religieuses. Il a appelé les acteurs politiques qui traînent encore les pas pour désigner leurs délégués à le faire. En effet, les instances officielles du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila refusent toujours de désigner leurs délégués au sein de la Ceni. Cette position qui semble occasionner encore une fois de plus, le dédoublement du FCC comme lors de la requalification de la majorité à l'Assemblée nationale. Depuis le 5 décembre, Constant Mutamba avec sa dynamique progressiste révolutionnaire du FCC a, elle, accepté de désigner des délégués à la Ceni avant d'être rejoint par d’autres individualités.  

De son côté, le président de l'Assemblée nationale, Christophe Mboso, a déjà publié le calendrier de finalisation du processus de désignation des membres de la Ceni. Le président Tshisekedi a aussi souhaité que tous les moyens soient mis en place de telle sorte que les élections se tiennent dans les délais constitutionnels. Pour ce faire, le gouvernement est invité à multiplier les efforts de mobilisation des fonds et leur mise à disposition à la Ceni. 

Pour rappel, le projet de budget 2022 adopté samedi à l'Assemblée nationale prévoit une réserve de 250 millions de dollars américains en perspective des élections de 2023.

Dans le souci de désengorger la Cour constitutionnelle de la multitude des recours lui soumis notamment durant le contentieux électoral, Tshisekedi a invité son président, à étudier avec le gouvernement la mise en place du corps des conseillers référendaires en vue de l'aider à résoudre cette problématique. Aux termes de l’article 21 de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ces conseillers assistent la Cour dans l’étude et la préparation technique des dossiers dont elle est saisie.

Félix Tshisekedi a invité le parlement à finaliser « diligemment »  le vote des lois relatives au processus électoral, encore en souffrance. Il s'agit principalement de la loi électorale. Au cours de cette session, deux autres propositions allant dans ce sens ont été déposées. Cet appel au seul Parlement est-il en contradiction avec l'engagement du gouvernement consistant à « identifier et modifier les dispositions arrêtées consensuellement à l'issue des concertations politiques ad hoc ». L’exécutif a-t-il abandonné son engagement en faveur des réformes électorales consensuelles ? 

Ithiel Batumike Mihigo

Photo : Félix Tshisekedi, le 13 décembre 2021, devant les députés et sénateurs reunis en Congrès lors de son discours sur l'état de la nation. @Presidence_RDC/Twitter