Guerre dans l’est de la RDC : parent pauvre du contrôle parlementaire ?

05/03/2025

Sur 170 initiatives de contrôle parlementaire déposées entre septembre et décembre 2024, seules sept avaient été examinées en plénière. Plus frappant encore : aucune initiative portant sur la crise sécuritaire dans l’est de la RDC n’a été débattue. Alors que les affrontements s’intensifiaient sur le terrain, l’Assemblée nationale est restée silencieuse, jusqu’à ce que la chute de Goma la contraigne à réagir.

Le 29 janvier, le Mouvement du 23 mars (M23), appuyé par l’armée rwandaise, prend Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Face à cette escalade, l’Assemblée nationale convoque, le mardi 4 février, une session extraordinaire avec l’ambition de dégager des « stratégies diplomatiques et politiques visant à permettre une sortie de crise ». Mais, trois jours après la clôture de cette session, Bukavu tombe, le 16 février, à son tour.

170 initiatives, mais l’Est relégué au second plan

Entre le 15 septembre et le 15 décembre 2024, quelques-unes des initiatives de contrôle parlementaire portaient spécifiquement sur la situation sécuritaire dans l’est du pays. Aucune n’a été examinée en plénière. Pourquoi a-t-il fallu l'effondrement du front pour que l’Assemblée nationale s’en saisisse ? 

Illustrion 1. Tableau des initiatives sécuritaires et leur statut (déposées, irrecevables, en cours, examinées en plénière)

Dates

Initiateurs

Ministres visés 

Moyens de contrôle et/ou d’informations

Sujets 

Status

16 septembre 

Elie Kambale, élu de Beni

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense

Question orale avec débat

Situation sécuritaire au Nord-kivu et Ituri

Déposé

2 octobre 

Marcel Zuma, élu de Bondo

Jacquemain Shabani, vice-Premier ministre de l’Intérieur

Question orale avec débat 

La persistance de l'insécurité dans les provinces du Bas-Uélé, Haute Uélé, Nord-Ubangi et une partie de l'Ituri

Déposé

10 octobre 

Gratien Iracan, élu de Bunia ville

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense

Interpellation 

Collaboration présumée entre les FARDC et les groupes armés en Ituri

Déposé

15 octobre

Emil Saidi, élu de Beni 

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense

Question écrite

Situation sécuritaire de la RDC dans sa partie orientale

Déposé

16 octobre 

Gratien Iracan, élu de Bunia ville

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense

Question orale avec débat

Insécurité dans la province du l'Ituri

Déposé

7 novembre 

Paul Babangu, élu d’Irumu

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense

Question orale avec débat 

Apport « concret » de la coalition FARDC-UPDF

Déposé

5 décembre

Elie Kambale, élu de Beni

Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense,

Question orale avec débat  

La dégradation de la situation sécuritaire dans le territoire de Beni

Déposé

Pourtant, jamais depuis que Talatala documente le travail parlementaire en RDC, un nombre aussi important de moyens d’information et de contrôle n’a été déposé. La session ordinaire de septembre 2024 a en effet enregistré un record, avec 170 initiatives introduites.

Illustration 2. Évolution des moyens de contrôle parlementaire de septembre 2020 à septembre 2024.

En tout cas, cette séquence rappelle une autre tentative parlementaire : lors de la précédente législature, en novembre 2022, soit un an après la résurgence du M23, l’Assemblée nationale avait adopté une résolution interdisant l’intégration, le mixage ou le brassage des combattants issus de groupes armés au sein de l’armée, de la police nationale ou de tout autre service de sécurité. Le M23 était alors officiellement qualifié de « groupe terroriste ».

Essentiellement budgétaire, la session de septembre 2024 s’est ouverte, sans accorder une priorité au suivi de la question sécuritaire. Même lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent en Congrès, le 20 décembre, soit cinq jours après la clôture de la session ordinaire précédente, c’est tout autre urgence qui est sur la table : la désignation d’un juge à la Cour constitutionnelle

Illustration 3. Répartition des initiatives de contrôle parlementaire par thématique (économie, gouvernance, sécurité, etc.)

Tandis que les lignes de front bougent et que la situation sécuritaire continue de se détériorer, l’Assemblée nationale peine à inscrire durablement ces enjeux à son agenda. La session extraordinaire de février a permis de remettre la question sécuritaire à l’ordre du jour au Parlement. La session de mars permettra de mesurer si cette prise de conscience perdure, ou si, une fois l’urgence passée, l’Assemblée nationale retournera à son attentisme.

 

Damien Kapay

Photo : une plenière à l'Assemblée nationale.@AssembleeNatRDC/Twitter