
Guerre dans l’est de la RDC : parent pauvre du contrôle parlementaire ?
Sur 170 initiatives de contrôle parlementaire déposées entre septembre et décembre 2024, seules sept avaient été examinées en plénière. Plus frappant encore : aucune initiative portant sur la crise sécuritaire dans l’est de la RDC n’a été débattue. Alors que les affrontements s’intensifiaient sur le terrain, l’Assemblée nationale est restée silencieuse, jusqu’à ce que la chute de Goma la contraigne à réagir.
Le 29 janvier, le Mouvement du 23 mars (M23), appuyé par l’armée rwandaise, prend Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Face à cette escalade, l’Assemblée nationale convoque, le mardi 4 février, une session extraordinaire avec l’ambition de dégager des « stratégies diplomatiques et politiques visant à permettre une sortie de crise ». Mais, trois jours après la clôture de cette session, Bukavu tombe, le 16 février, à son tour.
170 initiatives, mais l’Est relégué au second plan
Entre le 15 septembre et le 15 décembre 2024, quelques-unes des initiatives de contrôle parlementaire portaient spécifiquement sur la situation sécuritaire dans l’est du pays. Aucune n’a été examinée en plénière. Pourquoi a-t-il fallu l'effondrement du front pour que l’Assemblée nationale s’en saisisse ?
Illustrion 1. Tableau des initiatives sécuritaires et leur statut (déposées, irrecevables, en cours, examinées en plénière)
Dates |
Initiateurs |
Ministres visés |
Moyens de contrôle et/ou d’informations |
Sujets |
Status |
16 septembre |
Elie Kambale, élu de Beni |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense |
Situation sécuritaire au Nord-kivu et Ituri |
Déposé |
|
2 octobre |
Marcel Zuma, élu de Bondo |
Jacquemain Shabani, vice-Premier ministre de l’Intérieur |
La persistance de l'insécurité dans les provinces du Bas-Uélé, Haute Uélé, Nord-Ubangi et une partie de l'Ituri |
Déposé |
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10 octobre |
Gratien Iracan, élu de Bunia ville |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense |
Collaboration présumée entre les FARDC et les groupes armés en Ituri |
Déposé |
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15 octobre |
Emil Saidi, élu de Beni |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense |
Situation sécuritaire de la RDC dans sa partie orientale |
Déposé |
|
16 octobre |
Gratien Iracan, élu de Bunia ville |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense |
Insécurité dans la province du l'Ituri |
Déposé |
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7 novembre |
Paul Babangu, élu d’Irumu |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense |
Apport « concret » de la coalition FARDC-UPDF |
Déposé |
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5 décembre |
Elie Kambale, élu de Beni |
Guy Kabombo, vice-Premier ministre de la Défense, |
La dégradation de la situation sécuritaire dans le territoire de Beni |
Déposé |
Pourtant, jamais depuis que Talatala documente le travail parlementaire en RDC, un nombre aussi important de moyens d’information et de contrôle n’a été déposé. La session ordinaire de septembre 2024 a en effet enregistré un record, avec 170 initiatives introduites.
Illustration 2. Évolution des moyens de contrôle parlementaire de septembre 2020 à septembre 2024.
En tout cas, cette séquence rappelle une autre tentative parlementaire : lors de la précédente législature, en novembre 2022, soit un an après la résurgence du M23, l’Assemblée nationale avait adopté une résolution interdisant l’intégration, le mixage ou le brassage des combattants issus de groupes armés au sein de l’armée, de la police nationale ou de tout autre service de sécurité. Le M23 était alors officiellement qualifié de « groupe terroriste ».
Essentiellement budgétaire, la session de septembre 2024 s’est ouverte, sans accorder une priorité au suivi de la question sécuritaire. Même lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent en Congrès, le 20 décembre, soit cinq jours après la clôture de la session ordinaire précédente, c’est tout autre urgence qui est sur la table : la désignation d’un juge à la Cour constitutionnelle.
Illustration 3. Répartition des initiatives de contrôle parlementaire par thématique (économie, gouvernance, sécurité, etc.)
Tandis que les lignes de front bougent et que la situation sécuritaire continue de se détériorer, l’Assemblée nationale peine à inscrire durablement ces enjeux à son agenda. La session extraordinaire de février a permis de remettre la question sécuritaire à l’ordre du jour au Parlement. La session de mars permettra de mesurer si cette prise de conscience perdure, ou si, une fois l’urgence passée, l’Assemblée nationale retournera à son attentisme.
Photo : une plenière à l'Assemblée nationale.@AssembleeNatRDC/Twitter