Bilan de la session

Le contrôle parlementaire de nouveau gelé à l’Assemblée nationale ?

18/11/2022

Un mois avant la fin de la clôture de la session ordinaire de septembre 2022, Talatala se propose de faire un point d’état sur les moyens de contrôle et d’information déposés à l’Assemblée nationale. Décryptage.

« Au cours de chacune de nos sessions parlementaires, nos compatriotes attendent de leurs élus, l’exercice du contrôle parlementaire de la gestion des affaires publiques, avec responsabilité et dévouement, afin de veiller à l’amélioration de leur vécu quotidien. » Ces propos de Christophe Mboso, lors de son discours d’ouverture de la session parlementaire de septembre 2022, pourraient sous-entendre une volonté de l’Assemblée nationale d’encourager les députés à mieux jouer leur rôle de contrôle parlementaire.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Combien de moyens de contrôle et d’information ont-ils été déposés, sur quelles matières et par qui ? Ont-ils abouti ou ont-ils été recalés ? Dans les deux cas, pour quelles raisons ? Autant de questions pour vérifier l’effectivité du contrôle parlementaire à un mois de la clôture de la session en cours.

Ces députés qui exercent le contrôle parlementaire 

D’apparence, on pourrait penser que la RDC est marquée par une gouvernance de qualité tant le nombre d’initiatives de contrôle parlementaire est faible. À ce stade, sur 500 députés, seulement 12 élus ont déposé un moyen de contrôle ou d’information au bureau de l’Assemblée nationale. Parmi eux : une seule femme, Christelle Vuanga, élue de la Funa, à Kinshasa. 

Neuf de ces moyens ont été déposés par les députés de l’Union sacrée de la nation (USN), majoritaire à l’Assemblée nationale. Il convient toutefois de nuancer que cinq de ces initiatives de la coalition au pouvoir proviennent des élus membres des groupes parlementaires pro-Moïse Katumbi, ce dernier étant devenu, depuis plusieurs mois, très critique à l’égard de l’USN.

 

Trop peu de contrôle parlementaire

Depuis le début de cette session de septembre 2022, ces 12 députés ont déposé 13 moyens de contrôle et d’information, dont 12 adressés aux membres du gouvernement central contre un à l’attention d’un mandataire public. On y compte 11 moyens d’information, dont huit questions orales avec débat et trois questions écrites dont une transformée plus tard en interpellation d’une part et, d’autre part, deux moyens de contrôle, à l'occurrence une autre interpellation et une motion de défiance. 

Un rendement bien maigre. D’une manière comparative, depuis juillet 2022, la 16e législature en cours en France a déjà enregistré plus de 3000 moyens de contrôle et d’information. Alors que l’Assemblée nationale kényane a, durant la sixième session de sa 12e législature, enregistré 119 questions et 73 motions

Lors de cette session parlementaire en cours, Daniel Aselo est le premier visé par le contrôle parlementaire. Le vice-Premier ministre de l’Intérieur, Affaires coutumières et Décentralisation a en effet fait l’objet de deux questions orales avec débat, d’une question écrite et d’une interpellation. Sur le podium, on retrouve également Chérubin Okende, Ministre des Transport et Voies de communication, qui a été visé par une question orale et, surtout, par une motion de défiance. À ses côtés, Christophe Lutundula, vice-Premier ministre des Affaires étrangères, à qui deux questions orales avec débat ont été adressées, l’une autour de la problématique de l’embargo de l’achat d’armes et de procédure de notification et l’autre concernant les rapports diplomatiques entre la RDC et la Chine. 

Concernant le travail des députés en commission, les résultats ne sont pas non plus remarquables. L’on note par exemple que seulement sept auditions en commission ont été tenues : Gilbert Kabanda, ministre de la Défense, auditionné devant la commission défense et sécurité ; Christian Mwando, ministre du Plan, et Jacques Lutaladio, directeur général de l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomique (Inera), entendus par la commission de l’environnement ; Nicolas Kazadi, ministre des finances, devant la commission économique, financière et contrôle budgétaire (Écofin) ; Rose Mutombo, ministre de la Justice, et Tony Mwaba, ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, auprès de la commission droits humains et Augustin Kibasa, ministre des Postes Télécommunications, Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (PTNIC) à la commission Aménagement du territoire, infrastructures et nouvelles technologies de l’information et de la communication. 

Comment le contrôle parlementaire est gelé

Mais, très souvent, ces différents moyens d’information et de contrôle ne sont jamais inscrits à l’ordre du jour des plénières. Lors de la session précédente, celle de mars 2022, 26 moyens de contrôle et d’informations avaient été déposés, mais seulement cinq avaient été réellement examinés par la chambre basse du Parlement congolais. Si la session en cours n’a pas encore enregistré autant de moyens de contrôle et d’information, il n’en demeure pas moins que les initiatives déposées ne sont pas non plus toujours examinées en plénière : seulement une motion de défiance l’a été. Pour les autres - huit questions orales avec débat et deux interpellations -, aucune suite à ce jour.   

Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale détermine pourtant les délais dans lesquels ces initiatives doivent être traitées. Par exemple, la personne visée par une question écrite dispose de dix jours à compter de la réception de la lettre de transmission pour répondre au député auteur de l’initiative. Cette disposition est-elle suivie ? Visiblement non, si l’on se réfère aux députés concernés.

Juvénal Munubo Mubi nous a fait remarquer qu’aucune suite n’a été réservée à sa question écrite déposée le 20 juin 2022 et adressée à Daniel Aselo, ministre de l’Intérieur et Sécurité, concernant la brigade spéciale de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti du président de la République. Il en est de même de Claudel André Lubaya qui soutient que le bureau de l’Assemblée nationale n’a pas transmis sa question écrite introduite depuis le 23 août 2022 et adressée à Didier Bidimbu, ministre des Hydrocarbures, en dépit, selon lui, de l’avis conforme donné par le bureau d’études de l’Assemblée nationale. L’élu de la ville de Kananga a indiqué par ailleurs à Talatala qu’il a introduit une mise en demeure, restée également sans réponses, depuis le 10 novembre 2022 et n’écarte pas l’idée de transformer son initiative à une interpellation pour obliger le bureau à convoquer le ministre concerné. 

Mais aucune des deux interpellations déjà déposées au cours de cette session n’a jusqu’ici été programmée à l’Assemblée nationale. C’est le cas de celle introduite par Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa contre le Premier ministre Jean Michel Sama Lukonde au sujet de l’occupation de Bunagana par le Mouvement du 23 mars (M23) et de l’enlisement de la situation sécuritaire au Nord-Kivu et en Ituri, deux provinces pourtant sous l’état de siège. Contacté par Talatala, le député de Goma a affirmé que sa requête a fait l’objet, le 3 octobre 2022, d’un accusé de réception. Depuis, plus rien. Ce même sort est réservé à l’initiative du député Josué Mufula  qui avait décidé de transformer, le 13 octobre, sa question écrite, déposée le 25 août et restée sans réponse, à l’attention du ministre Daniel Aselo en une interpellation.

À ce sujet, le règlement intérieur de la chambre basse du Parlement congolais stipule pourtant que « le bureau de l’Assemblée nationale inscrit l’interpellation à l’ordre du jour de la séance la plus proche, au cours de laquelle son auteur est invité à en exposer le contenu et les motifs à l’Assemblée plénière à huis clos ». Si cet objet est jugé opportun et est approuvé, l’interpellation doit alors être « inscrite en priorité au calendrier des travaux ». Et l’interpellé, en l’occurrence le Premier ministre, « se présente devant l’Assemblée nationale dans le délai de huit jours francs à dater de la notification de l’interpellation ».

Contrairement aux premiers mois du gouvernement Sama Lukonde au cours desquels le bureau de l’Assemblée nationale avait décidé de geler le contrôle parlementaire, cette fois-ci, aucune déclaration officielle n’explique ce blocage apparent de ces différentes initiatives des députés.

Bienvenu Matumo, stagiaire à Talatala

Photo : une plenière à l'Assemblée nationale. Copyrigth : @AssembleeN_RDC/Twitter