Bilan de la session

Les arriérés législatifs ou ces matières qui attendent désespérément leur adoption

04/07/2022

Au moment où la session de mars 2022 vient de se terminer, Talatala s’intéresse aux arriérés législatifs à l’Assemblée nationale. Quels sont ces textes qui sont toujours alignés sur le calendrier des travaux mais jamais adoptés ? Décryptage et chronologie interactive.

« Le débat politique tel qu’il est mené est loin d’aborder les préoccupations des Congolais. » C’est l’aveu de Christophe Mboso lui-même, le 15 mars, lors de l’ouverture de la session ordinaire qui vient de se terminer à l’Assemblée nationale.

Ce jour-là, le président de la chambre basse du Parlement congolais poursuit : « Les Congolais attendent de leurs élus l’examen et l’adoption des lois et le contrôle parlementaire sur des sujets qui ont un impact réel sur le vécu quotidien, leur sécurité et leur social. »

Beaucoup ont cru alors que les députés nationaux allaient se pencher sur les propositions et projets de loi qui touchent réellement au quotidien de la population. D’autant qu’en ce début de la session de mars 2022, le bureau de l’Assemblée nationale présente un calendrier des travaux ambitieux : plus de 80 matières, principalement législatives, alignées dont 44 arriérés législatifs. Intéressons-nous à ces derniers. 

Que sont devenus les 44 arriérés législatifs ?

À l’arrivée, le bilan est très maigre : seul un arriéré législatif a été adopté. Il s’agit de la proposition de loi modifiant et complétant la loi électorale en vigueur, déposée depuis le 17 décembre 2020. Et sur le répertoire des textes non examinés, on dénombre 32 matières alors que 11 autres textes sont en cours d’examen en commission. 

Il importe de rappeler que les arriérés législatifs de la session de septembre 2021, alignés dans le calendrier des travaux de la session de mars 2022, n’ont connu aucun changement dans leur statut. Certains ne sont toujours pas examinés et d’autres sont toujours sous examen. Il s’agit pourtant à la fois des textes relatifs au social, à la sécurité, à la lutte contre la corruption, à l’organisation de tribunaux de commerce, à la lutte contre le tribalisme et à l’accès à l’information. 

C’est le cas par exemple du projet de loi portant modalités d'application de l'état d'urgence et de l'état de siège en RDC. Ce texte attend toujours désespérément d’être examiné et adopté au moment où le pays a déjà vécu sous état d’urgence sanitaire durant la pandémie de Covid-19 et, depuis un an, l’état de siège a été mis en place dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Normalement, ces deux mesures d’exception auraient pu conduire l’Assemblée nationale à faire diligence pour adopter le projet de loi portant modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège. Ceci permettrait d'éviter le quiproquo auquel les observateurs politico-juridiques se sont livrés lorsque ces décisions ont été prises et, surtout, d’encadrer les pouvoirs accordés aux animateurs des entités sous état de siège. 

Il en est de même de la proposition de loi modifiant la loi de 2018 relative au statut des anciens présidents de la République élus et fixant les avantages accordés aux anciens chefs de corps constitués, déposée depuis le 28 octobre 2019. Dans la logique de réduire les dépenses étatiques liées au fonctionnement et rémunérations du personnel politique, il était nécessaire de revoir cette loi, notamment à cause des émoluments importants accordés aux anciens chefs de différents corps constitués. 

Autre texte qui porte sur la réduction du train de vie des institutions et nécessitant un examen urgent : la proposition de loi qui vise la dissolution du Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA). Déposée depuis le 9 juin 2020, cette initiative législative n’est toujours pas débattue alors que le rôle du CNSA était lié au suivi de l’accord politique de la Saint-Sylvestre, dépassé depuis la tenue des élections contestées de décembre 2018.  

Le même paradoxe se constate lorsqu’on regarde de près le sort des textes qui se rapportent au social ou qui organisent la vie en société. Dans ce lot, n’ont toujours pas été adoptées les propositions de loi portant sur les ordres de sages-femmes, des agronomes, des géologues, sur l’exercice du droit de grève et sur la lutte contre la corruption. Bien que la sécurité du pays soit régulièrement menacée par les attaques externes et internes, la proposition de loi relative à l’instauration du service militaire d’un an en RDC, déposée depuis le 13 août 2020,  semble n’avoir pas non plus intéressée l’Assemblée nationale.

Chronologie interactive avec les dates de 44 arriérés législatifs alignés au début de la session de mars 2022

Qui bloque ?

Comme on le voit, finalement, malgré la déclaration de Christophe Mboso au début de la session, les députés se penchent rarement sur les textes qui touchent aux préoccupations sociales des Congolais. Ils semblent apporter plus d’énergie et de temps sur les matières ayant trait aux questions marquées et motivées politiquement.

L’autre niveau de blocage se situe à l’exécutif. Co-initiateur avec les députés des textes de loi, le gouvernement dépose rarement ou avec retard les projets de loi programmés au calendrier d’une session. C’est le cas par exemple du projet de loi de programmation militaire. Depuis la session ordinaire de mars 2021, l’Assemblée nationale aligne cette initiative législative sur son calendrier des travaux. Mais c’est seulement le 13 juin dernier, à la veille de la clôture de la session de mars 2022, que l’exécutif a déposé ce texte majeur, nécessaire à la réforme des forces armées.  

En conséquence, la session s’est clôturée sans que le projet de programmation militaire ne soit débattu ni adopté à l’Assemblée nationale, au moment où la RDC est attaquée par la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda selon Kinshasa, et fait face à une pluralité de groupes armés locaux et étrangers. Avant de partir en vacances parlementaires, les députés nationaux ont toutefois adopté, le 14 juin, la loi d’habilitation du gouvernement. Il appartiendra donc à l’exécutif seul d’examiner et de légiférer sur cette importante matière à travers une ordonnance-loi du président de la République. 

Le gouvernement ne donne pas non plus toujours ses avis sur chaque proposition de loi dans les 15 jours de la transmission du texte à examiner. Ici, le cas de la proposition de loi modifiant la loi sur la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) est une illustration éloquente, comme le soulignait le rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) sur la réforme de la Ceni. Déposé le 8 août 2019 par Christophe Lutundula, alors député d’opposition, le texte a attendu deux mois pour recevoir les observations du bureau d’études de l’Assemblée nationale. Et, entre le dépôt de la « version corrigée » de cette proposition de loi au bureau de l’Assemblée nationale et sa transmission au gouvernement, il va s'écouler six mois. À son tour, au lieu de 15 jours prévus par la Constitution, l’exécutif prendra plus de 30 jours pour renvoyer ses « observations ».

Et quand bien même le gouvernement transmet ses observations dans le délai, le bureau de l’Assemblée nationale ne soumet pas toujours le texte concerné au débat général. Le règlement intérieur de la chambre basse est pourtant clair :  « Une fois inscrits au calendrier, les projets et propositions de loi font l’objet d’un débat général et, le cas échéant, sont envoyés, pour examen, à la commission permanente compétente. »

Quid enfin de la responsabilité des commissions parlementaires permanentes dans cette accumulation d’arriérés législatifs ? En tout cas, très rarement, ces dernières respectent le délai de remise du rapport de leur travail que leur accorde le président de séance après la recevabilité du texte par la plénière.  À cette allure, il sera difficile de se défaire des arriérés législatifs à l’Assemblée nationale.

Bienvenu Matumo, stagiaire à Talatala

Photo : capture du projet de calendrier des travaux de la session ordinaire de mars 2022, réalisée le 4 juillet 2022.